jeudi 21 août 2014

Une demi-acre et une mule

par Zack Lieberberg

Chers amis chrétiens,

Je suis juif et j’ai toujours vécu parmi vous. Certains d’entre vous sont mes plus proches amis. Certains d’entre vous sont de proches parents. Certains d’entre vous sont des antisémites pervers. Toutes les langues que je sais parler, c’est vous qui les avez créées. La plupart des livres que j’ai aimés, c’est vous qui les avez écrits. Tous mes tableaux préférés, sans exception, c’est vous qui les avez peints. C’est vous qui avez construit les maisons dans lesquelles j’ai vécu et les voitures que j’ai conduites. De toutes les filles que j’ai aimées, la plupart étaient chrétiennes ; et sachant qu’aucune d’entre elles n’est beaucoup plus jeune que moi, j’espère qu’elles apprécieront de m’entendre dire, avec la plus grande sincérité dont je suis capable, que je me souviens de chacune d’elles avec plus de tendresse et de gratitude que ce que Julio Iglesias ne pourrait jamais espérer chanter.

Il y a des années, quand j’étais encore un jeune homme, persuadé que le monde était bien fait et que tous les humains étaient nés égaux et partageaient les mêmes beaux rêves, j’avais essayé de vivre dans un pays musulman. C’est là que j’ai appris. Maintenant, je sais que les hommes ne sont égaux que devant la loi et seulement dans les rares endroits dans lesquels ces lois sont dans les livres et sont appliquées. Je sais maintenant que les rêves de certains sont pires que nos pires cauchemars. Enfin, mes amis, j’ai appris à apprécier à quel point vous êtes plus aimables que la plus grande partie du reste du genre humain. Si bien que le jour où les chrétiens m’ont rendu la vie impossible dans le pays chrétien qui m’avait vu naître, je suis allé vivre dans un autre pays chrétien. C’était il y a vingt-trois ans, et je pense toujours que mon choix d’un pays dans lequel je puisse être chez moi a été la deuxième meilleure décision que j’aie jamais prise, la première étant d’épouser celle qui est aujourd’hui ma seconde femme.

Je pourrais continuer ainsi encore longtemps, et toujours, mais je pourrais aussi résumer ce que je ressens pour vous en trois mots : je vous aime.

Mais ce n’est pas d’amour qu’il s’agit ici. J’ai un sujet plus important à aborder. Si je vous écris aujourd’hui, c’est pour que vous sachiez que vous avez des comptes à me rendre, et de sacrés comptes. Vous avez des comptes à me rendre pour ces deux mille ans de tortures et de persécutions que j’ai subies et que j’endure encore entre vos mains. Et avant que vous me répondiez qu’aucun d’entre vous n’a jamais participé lui-même à un seul pogrom, laissez-moi vous rappeler qu’aucun des miens n’a jamais été personnellement impliqué dans une crucifixion (à l’exception des quelque 250 000 Juifs crucifiés par les Romains à l’époque où le christianisme était encore une secte juive), et que vous n’avez jamais considéré cela comme une excuse valable. Par conséquent, ne me demandez pas non plus d’accepter maintenant votre propre non-participation comme une circonstance atténuante.

Il y a pire. Rien – je dis bien rien, absolument rien – de ce dont vous avez pu nous accuser n’était vrai. Depuis deux mille ans, toutes les accusations que vous avez formulées contre nous ont toujours été fausses. Je répète : toutes les accusations que les chrétiens ont pu prononcer contre les Juifs ont toujours été fausses.

Non, certes, nous ne sommes pas des anges. Nous avons commis nous-mêmes un certain nombre de péchés graves, à commencer par ce maudit veau d’or, mais c’était longtemps avant votre avènement. Certains d’entre nous ont aussi pu commettre des délits ou des crimes au cours de ces deux derniers millénaires.

Cependant, en tant que nation, en tant que peuple, nous sommes innocents d’absolument tout ce dont vous nous avez accusés. Je sais qu’un certain nombre de chrétiens et même certains Juifs trouveront cette révélation choquante et difficile à croire. Si jamais vous en êtes, citez donc un seul exemple dans lequel nous aurions empoisonné des puits, propagé la peste, provoqué un tsunami, utilisé du sang humain pour fabriquer nos pains azymes, écrit les Protocoles des Sages de Sion, grossi les statistiques de la Shoah, volé des organes vitaux à des enfants arabes, commis un acte d’agression ou quoi que ce soit d’autre qui puisse constituer une explication parfaitement raisonnable de tous vos crimes contre mon peuple. Ou alors, essayez de prouver la validité du mensonge antisémite le plus dévastateur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le « peuple palestinien ». Si vous arrivez à prouver la culpabilité collective des Juifs dans un seul de ces exemples, je jure solennellement de me convertir au christianisme. Mais tant que je reste juif, je maintiens ceci : c’est nous qui sommes vos victimes innocentes.

Ça ne vous plaît pas ? Tant pis. C’est pourtant la vérité.

J’aimerais vous raconter ce qui m’est arrivé à Moscou il y a vingt-cinq ans. J’étais dans le métro avec ma femme, enceinte de huit mois à l’époque. Le wagon n’était pas bondé. Tous les sièges étaient occupés, mais à part nous, il n’y avait qu’une passagère debout. Elle se tenait à deux ou trois mètres de nous. C’était une femme jolie, élégante, âgée d’une trentaine d’années. Un des passagers assis juste en face de nous s’est levé, et ma femme a voulu en profiter pour s’asseoir. Tout à coup, cette femme a bondi et a poussé ma femme avec le même geste qu’un joueur de hockey. Je n’exagère pas : si je ne l’avais pas attrapée, elle serait tombée. La femme en a profité pour s’asseoir confortablement, un sourire de satisfaction sur le visage. Un homme qui s’en serait pris de cette façon à une femme enceinte en présence du mari ne s’en serait pas sorti indemne, mais que faire lorsqu’il s’agit d’une femme ? J’ai d’abord pensé qu’elle n’avait pas remarqué l’état de ma femme. Je lui ai demandé : « Vous ne voyez pas qu’elle est enceinte ? » D’une voix claire, agréable, distinguée et naturellement assez forte pour être entendue dans tout le wagon, la femme m’a répondu : « C’est vraiment dommage qu’on n’ait pas laissé Hitler vous exterminer tous, Juifs suceurs de sang ! Ça ne serait pas plus beau, de vivre sur une planète qui ne soit pas empoisonnée par votre puanteur ?  »

À cette question de pure forme, personne n’a répondu. Les gens se sont tous comportés comme s’ils étaient sourds et aveugles. Nous sommes descendus à la station suivante et nous avons attendu la prochaine rame.

Je n’avais aucun lien avec cette femme. Je ne l’avais jamais vue, et grâce à Dieu, je ne l’ai pas revue non plus. Elle était peut-être tatare : les Tatars sont musulmans et détestent les Juifs avec au moins autant de passion que les Arabes. Ou bien, peut-être était-elle tout simplement folle, au sens le plus littéral. Mais ce que je ne peux pas oublier, c’est la façon soudaine dont tous les passagers du wagon ont fermé les yeux et ont fait comme s’ils étaient sourds. Ils étaient pourtant plusieurs dizaines. Bien sûr, je ne me serais pas attendu à ce qu’ils viennent tous au secours de ma femme. Cependant, j’aurais quand même vécu cette expérience autrement si au moins l’un d’entre eux avait fait ce qu’une personne un tant soit peu convenable devrait faire de façon automatique, sans même y réfléchir, dans une telle situation : proposer son siège à cette femme enceinte agressée sous ses yeux. Je crois sincèrement qu’ils se seraient conduits autrement si ma femme et moi avions été des chrétiens comme ils l’étaient tous. Sauf que si nous avions été chrétiens, rien de tout cela ne serait arrivé.

Vous serez peut-être tenté d’expliquer ce comportement par des différences entre les dogmes obscurs du christianisme orthodoxe russe et les nobles enseignements de votre propre Église. Laissez tomber. Cet incident dans le métro de Moscou était la démonstration d’un mode de conduite typiquement chrétien envers les Juifs. Non pas que vous nous haïssiez : ce n’est pas le cas pour la plupart d’entre vous. Seulement, après nous avoir diabolisés pendant deux mille ans, comment pourriez-vous ne pas croire à vos propres mensonges, au moins en partie ? Vous nous assurez que certains de vos meilleurs amis sont des Juifs, et cela se peut très bien. Et cependant, n’avons-nous pas tué Jésus ?

Regardons les choses en face, vous ne nous avez pas pardonné les crimes que vous avez commis contre nous, et je pense que vous ne nous les pardonnerez jamais, même si, le plus souvent, vous ne nous haïssez pas assez pour risquer de vous attirer des ennuis. En général, vous n’en avez pas besoin parce qu’il se trouve toujours, et c’est bien pratique, des gens qui nous haïssent suffisamment pour proposer leurs services. Il y a soixante ans, ce furent les Allemands. Aujourd’hui, ce sont les Arabes. Grâce à eux, vos mains de chrétiens restent toujours propres, comme si elles n’avaient jamais été tâchées d’aucune goutte de sang juif. Quand vous aurez fait justice aux auteurs de la prochaine Shoah, d’autres se porteront volontaires pour s’occuper des rescapés. Si tant est qu’il y ait des rescapés, bien entendu. C’est la raison pour laquelle les Juifs ne seront jamais en sécurité parmi vous.

La restauration (que vous appelez création) d’Israël vous a permis d’exprimer votre antisémitisme dans des termes tout à fait politiquement corrects. Si vous n’êtes pas d’accord avec le gouvernement israélien, vous avez bien le droit de le critiquer, n’est-ce pas ? Surtout si certains de vos meilleurs amis sont juifs. Qu’est-ce que cela peut avoir d’antisémite ? Le président Bush a récemment appelé Israël « une jeune nation ». A-t-il pensé un instant que si Israël était une nouvelle nation en 1948, cela signifiait que c’était une nation créée sur la terre d’un autre peuple et que son véritable propriétaire était fondé à s’y opposer ? A-t-il dit une inexactitude ? Non, c’était une prise de position.

Dès qu’Israël a été rétabli sur une partie de son antique territoire, les Arabes lui ont déclaré la guerre. Qu’ont fait les nations chrétiennes, depuis le début, pour défendre Israël contre cette agression arabe permanente ? Quelques-unes lui ont vendu des armes de temps à autre. Les États-Unis ont souvent bloqué les résolutions anti-israéliennes du Conseil de Sécurité. Cependant, chaque fois que les Arabes ont ouvertement attaqué Israël, les États-Unis s’en sont finalement mêlés pour obliger celui-ci à rendre tout ce qu’il avait conquis lors de ses guerres défensives, ce qui a permis à l’agression arabe contre Israël de continuer. Et toutes ces nations, y compris les États-Unis, de façon de plus en plus honteuse, soutiennent les Arabes contre Israël et contre leurs propres intérêts à long terme.

La création en 1967 de l’« antique peuple palestinien » a été inspirée par le Politburo. Est-ce qu’une seule des nations chrétiennes s’est opposée à ce mensonge antisémite ? Pas plus qu’elles ne s’étaient opposées à tous les autres mensonges antisémites. Aujourd’hui, dans le monde, davantage de capitales ont une ambassade de « Palestine » qu’une ambassade d’Israël. Pourquoi cela ?

Le pétrole est une excuse bien mince pour soutenir les Arabes contre Israël. Les Arabes sont plus dépendants de leurs ventes de pétrole que ne le sont les pays consommateurs. Les Arabes sont obligés d’acheter au monde extérieur tout ce dont ils ont besoin pour survivre, et comme la crotte de chameau n’a pas une cote particulièrement élevée sur le marché international des matières premières, le pétrole est leur seule source de revenu. N’avez-vous jamais entendu dire qu’un embargo sur les ventes irakiennes de pétrole avait entraîné la mort d’un demi-million de bébés irakiens ? Vos prises de position n’ont rien à voir avec le pétrole. Elles ont à voir avec l’antisémitisme.

Votre antisémitisme vous a rendus aveugles aux distinctions entre le bien et le mal. De ce fait, vous avez laissé le mal pénétrer vos foyers. Pendant que vous continuez à marmonner dans un jargon politiquement correct à propos d’une « autre religion d’Abraham » et d’une « religion de paix », l’Europe, naguère chrétienne, est envahie par les musulmans. Les États-Unis ne tarderont pas à connaître le même sort. Non, mes chers amis, nous ne sommes pas en sécurité parmi vous.

J’aime vraiment le pays dans lequel je vis maintenant. Je ne crois pas que les Juifs aient déjà été aussi bien intégrés quelque part dans une société qu’ils le sont aux États-Unis. Peut-être seulement en Allemagne avant la Nuit de Cristal. La Nuit de Cristal, vous pensez qu’elle ne pourrait pas se produire ici ? N’en soyez pas si sûr. Quand les musulmans auront atteint une masse critique aux États-Unis, votre propre sécurité ne sera même plus garantie. Autant j’aime considérer que je suis chez moi ici, autant je vois de plus en plus clairement que mon avenir et l’avenir de mes enfants est en Israël.

Aujourd’hui, les Arabes parlent ouvertement de la destruction totale d’Israël. Leur « plan de paix », celui proposé par les Saoudiens il y a deux ans et récemment repris à Beyrouth, accorde aux Juifs israéliens une possibilité d’échapper à leur extermination. Et pourtant, vous continuez de réclamer une « solution de deux États ». Il faut être sourd pour ignorer la menace arabe proférée contre Israël. Il faut être aveugle pour ne pas voir que la « solution de deux États » serait une solution finale, au sens hitlérien du terme.

Comment se fait-il que j’éprouve tout à coup le même sentiment que dans ce wagon de métro il y a vingt-cinq ans ?

La superficie d’Israël dans ses frontières internationalement reconnues est de 20 699 km2. Ajoutons les hauteurs du Golan (environ 1 295 km2), la Judée et la Samarie (5 607 km2 au total) et Gaza (362 km2), toutes ces zones faisant historiquement partie d’Israël, que vous soyez disposés ou non à accepter cette vérité. Nous obtenons une superficie totale de 27 964 km2.

Avant la Seconde Guerre mondiale, il y avait 18 millions de Juifs dans le monde. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que 13 millions. Cela fait deux mille ans que nous vivons parmi vous. Nous avons toujours fait notre part du travail et si vous jetez un coup d’œil à la proportion de Juifs parmi les lauréats du prix Nobel, vous êtes bien obligés d’admettre que nous avons plus que largement contribué à la société.

Il n’y a pas si longtemps, vous promettiez à vos esclaves affranchis quarante acres et une mule. Moi, tout ce que je demande, c’est la moitié d’une acre – non pas de votre pays, mais du mien, et la mule, vous pouvez la garder. Il me semble que nous méritons au moins cela. Si vous nous accordez une demi-acre par personne, nous posséderons alors 6,5 millions d’acres, soit 26 304 km2 de la terre d’Israël. Il restera alors 1 660 km2 non attribués, mais nous aurons besoin de cette surface de terrain pour pouvoir conserver la tradition israélienne qui consiste à planter un arbre en l’honneur de chaque « Juste parmi les nations ».

Ou peut-être pensez-vous qu’il ne nous faut même pas cela ?

Amicalement.


Zack Lieberberg est mathématicien et informaticien et habite New York.

© 2005 - Zack Lieberberg - middleeastfacts.com
© 2008 - Marcoroz pour la traduction

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